
Frater Troll
La psychologie du rebelle
Je participais à un live sur la chaîne YouTube de Wil Bee avec Pierre-Yves Lenoble et j'ai eu une question de Wil par rapport au fait que je semblai être relativement proche de personnalités qui entretiennent quelque peu une pensée troll pour leur époque, il citait entre autre Crowley, Wilson ou Leary et je rajouterai aussi d'autres personnes à la liste, comme par exemple, John Lydon (alias Johnny Rotten des Sex Pistols) ou même Jésus, vous verrez pourquoi plus tard…
Il est difficile de pouvoir développer ce genre de sujet en live et ce petit article va aussi répondre en partie à une autre question qui était de comment je crée mes émissions. En fait, je pars exactement comme ça, une question que je n'ai pas pu forcément développer sur le vif, que je prends le temps de mûrir, avant d'écrire quelque chose dessus. Si c'est en relation avec le thème de ma chaine, je fais un live et si c'est plus personnel ou une réaction, je le fais ici.
En l'occurrence, merci Wil, parce que c'est vraiment un sujet que j'ai envie d'approfondir et tu m'as donné matière à travailler dessus, aussi bien sur le papier qu'en moi en introspectant le pourquoi du comment.
Il y a des archétypes de personnes qui aiment la provocation afin d'amener chez l'autre une réaction (à cet effet, je vous invite à vous référer à mon dernier article sur le sujet de la provocation). Ces personnes, Jung va les appeler « les rebelles » donc je vais utiliser cette typologie tout au long de cet article même si je pense qu'on a pas qu'un seul archétype au sens de Jung car tout va dépendre de bien des paramètres dont le thème astral ou encore le milieu socio-culturel dans lequel on évolue.
Le rebelle peut être introverti ou extraverti, ça ne changera pas l'état de fait qu'il a une composante très forte du côté de Mars et il cherchera à minima une réponse à sa provocation afin d'engager un échange qui pourra être parfois musclé si la personne en face est dans le conflit ou totalement ouvert dans le cas où il y a une bonne intelligence, mais il ne fuira pas le débat.
Il reste au vieux punk, rangé, casé, propre sur lui, que je suis, ce besoin permanent de provocation et une tendance à titiller là où ça fait mal pour qu'en face ça réagisse en bien comme en mal, je m'en fous, les gens sont face à eux-mêmes et leurs propres contradictions.
Et on va retrouver cette façon d'être chez toutes les personnes précédemment citées.
Tout d'abord on peut prendre l'exemple de Crowley et les Rites d'Eleusis qu'il produisit dans un théâtre en 1910, Crowley affirmait que les Rites avaient été conçus pour inspirer au public une « extase religieuse » et que le simple fait de les lire aiderait les gens à « cultiver leurs plus hautes facultés ». Bon, ça c'était pour la publicité pour ses représentations...
Mais certains dans la presse populaire pensaient exactement le contraire et considéraient les Rites comme une démonstration immorale, truffée de « blasphèmes et de suggestions érotique ».
En réponse aux tabloïds, il écrivit un petit texte appelé : « Concernant le « blasphème » en général et les rites d'Éleusis en particulier » où il développe le cas du rebelle en prenant l'exemple du Christ et en le mettant en parallèle du délit de blasphème toujours d'actualité dans l'Angleterre de son époque.
« Le véritable messager de Dieu peut toujours être distingué d'une manière très simple.
Il possède une force mystérieuse qui lui permet de persister, sans se soucier des moqueries et des rires de la populace. Les gens les plus sages se rendent alors compte qu'il est dangereux et ils commencent à s'attaquer au blasphème et à l'immoralité. Dans la vie de notre Seigneur, cela se remarque. En premier lieu, il y avait juste le méprisant « il a le démon », qui était l'équivalent de notre « c'est juste un excentrique », mais quand on a découvert que cet excentrique avait des partisans, des hommes de force et d'éloquence comme Pierre, sans parler de génies financiers comme Judas Iscariote, le cri s'est rapidement transformé en accusations sauvages de blasphème et d'immoralité : « C'est un ami des publicains et des pécheurs. »
Un gouvernement sain ne fait que rire de ces exagérations ; et c'est alors la tâche des pharisiens de prouver au gouvernement qu'il est dans son intérêt de supprimer ce dangereux parvenu. Ils peuvent réussir ; et bien que le gouvernement ne soit jamais aveugle un seul instant au fait qu'il commet une injustice, le nouveau Sauveur est crucifié.
C'est cette publicité finale de la crucifixion (car la publicité est tout aussi nécessaire à une époque qu'à une autre) qui assure le triomphe complet à celui que ses ennemis supposent affectueusement être leur victime.
Tel est l'aveuglement humain, plus que le messager lui-même, ses ennemis et le pouvoir civil, tous font exactement la seule chose qui va contrecarrer leurs objectifs. Le messager ne réussirait jamais rien s'il n'était pas le Messager, et les mesures qu'il prend pour faire passer le message importent peu en réalité. Car tous ceux qui sont concernés ne sont que des pions dans le grand jeu joué par l'infinie sagesse et l'infinie puissance. »
Force est de constater que Jésus était lui aussi un rebelle de son époque et que sans provocation de l'ordre établi, on aurait jamais eu le christianisme et ses préceptes humanistes, d'amour et de charité. Mais n'oublions pas non plus que celui-ci a aussi été dévié par d'autres plus tard, que ce soit Vatican II mais aussi la horde de fanatique comme les darbystes ou l'Opus Dei, par exemple. Tout comme Crowley a été dévié par des tas de mecs se revendiquant de lui par la suite…
D'où le fait que j'ai rajouté Jésus dans l'intro parce qu'il est l'exemple parfait du rebelle qui a continué à délivrer son message jusqu'à sa mort et cela mérite un respect inconditionnel.
Ce qui est sûr c'est que le rebelle sera pris par certains pour une personne avec des idées révolutionnaires, par d'autres pour un loufoque et par d'autres encore pour la pire des merdes que la Terre ait créée, en fonction de l'idéologie et du dogme de celui qui juge. Mais dans tous les cas, il ne laissera pas dans l'indifférence et le message aura fait son chemin.
Et il faut assumer cette position, où l'influence martienne va permettre de se battre jusqu'au bout pour essayer de changer un tant soit peu le monde en pensant réparer une injustice, quand bien même le résultat ne sera pas forcément celui escompté pour diverses raisons dont les dérives ou le jusqu'au boutisme des suivants comme je l'expliquai dans mon live sur le délire prométhéen. Parfois un petit progrès momentané pourra devenir un vrai calvaire dans le futur.
Passons maintenant à Wilson qui entretenait le même goût de la provocation, bien plus soft que Crowley, mais déjà plus proche dans la façon de faire du troll moderne avec des petites phrases qu'il disperse dans ses ouvrages ou la confusion qu'il sème pour faire réfléchir : l'opération mindfuck (même le terme est du troll car il signifie en argot induire quelqu'un en erreur).
Et on peut voir le style décousu et purement troll de son roman Illuminatus où (je cite Wikipédia) le premier festival européen Woodstock, tenu à Ingolstadt, en Bavière, est l'endroit choisi pour le sacrifice des victimes imprudentes, par le réveil de bataillons nazis venant du fond du lac voisin Totenkopf.
Dans un autre registre, on peut aussi s'attarder sur la symbolique dans ses couvertures de ses livres, l'œil dans la pyramide, le damier, le sous-marin jaune, Cthulhu, la pomme en or, ou encore l'utilisation dans les photos de lui de pyramides, du nombre 23, de T-shirt de l'Astrum Argenteum qui vont, après coup, faire réagir les complotistes du monde entier. Mais il faut rappeler que lorsqu'il a sorti ses livres, le complotiste n'existait quasiment pas et que c'est en parti à cause de Wilson que certaines personnes ont commencé à se poser des questions sur le plan de leur gouvernements en parlant d'Illuminati. L'œuf ou la poule ? Le troll devient à son tour le méchant sataniste...
Par ailleurs, on trouvera chez Wilson des citations comme « La réalité n'est qu'une béquille pour les gens qui ne supportent pas la drogue » qui ouvre au lecteur la question de qu'est-ce que la réalité mais aussi va induire d'une façon humoristique le fait qu'un consommateur de substances psychoactives va avoir accès à une réalité différente.
On se souviendra aussi de ses positions assez tranchées qui traduisent le côté martien dont je parlais précédemment comme « J'aime les pacifistes, et les gens qui s'identifient émotionnellement fortement à la pulsion de mort et à la guerre me qualifieraient probablement de pacifiste, mais je suis plutôt un non-invasif plutôt qu'un non-violent. C'est-à-dire que je crois qu'un peuple envahi a le droit de se défendre par tous les moyens nécessaires. Cela comprend mettre du verre pilé ou du poison dans la nourriture des envahisseurs, leur tirer dessus en embuscade, le sabotage, la grève générale, la révolution armée, etc. C'est aux envahis de décider laquelle de ces techniques ils vont utiliser. Ce n'est pas à un moraliste de leur dire quelles techniques sont autorisées. ».
Il n'y a pas de langue de bois, la morale ? Bat les couilles… C'est ça que j'aime chez le rebelle !
Et puis, il y avait aussi son combat pour la légalisation du cannabis à une époque où les Etats-Unis étaient encore en pleine répression allant jusqu'à fumer plusieurs joints sur scène avec son interlocuteur lors d'une conférence sur les libertariens ou, vers la fin de sa vie, en fauteuil roulant, à une manifestation pour dépénaliser l'usage thérapeutique. Il considérait le cannabis comme un moyen de réduire sa douleur en travaillant sur le circuit neurosomatique, lui qui avait une maladie chronique incapacitante, et c'était cette provocation qui permettait au mouvement d'avoir un peu plus d'écho.

On va survoler Leary qui, comme tout le monde sait, a fait la promotion des drogues et en particulier du LSD pendant la période du Flower Power avec des sorties comme « Le danger des drogues psychédéliques, le danger de l'ouverture de l'esprit, le danger de l'expansion de la conscience, le danger de la découverte intérieure sont un danger pour l'establishment. », on comprendra son arrestation par la DEA en 1972 avec cette photographie mythique où il rit pendant que les policiers l'emmènent.

Pour finir, faisons un petit tour par John Lydon et cette citation : « La seule façon d'être fidèle à soi-même est d'être rebelle. ». Cette figure du mouvement punk ira jusqu'à dire dans une interview récente qu'il se sent plus proche des conservateurs parce que ce sont eux qui, aujourd'hui, défient la bienpensance et qui sont censurés. En gros, la liberté d'expression est aussi un des combats des rebelles et ça va passer même au-dessus de l'idéologie politique. Plus la censure va être accrue, plus le rebelle va l'ouvrir par différents moyens.

Si l'on voulait synthétiser les
points communs à tous ces personnages :
- Ils sont tous pris pour des illuminés ou des tarés à leur époque
- Ils ont tous plus ou moins une tendance aux excès
- Ils sont tous dans la provocation permanente
- Leurs œuvres sont toujours controversées
- Ils laissent une empreinte dans la société
- Ils se foutent de la bienpensance
- Ils détestent la censure
Maintenant, je vais un peu parler de moi, justement en relation avec tout ceci.
J'ai été punk au milieu de mon adolescence, à l'époque, j'avais d'ailleurs un peu la coupe de John Lydon sans la teinture, les docs, le bombers, les jeans retroussés, on ne peut pas dire que dans une foule, je passai inaperçu et cette différentiation n'était pas, comme on peut souvent le penser, un besoin de se faire remarquer mais plus un besoin de provoquer une réaction chez l'autre, la peur chez certains, un dégout chez d'autres jusqu'à la baston avec les opposants, en l'occurrence, les skinheads de l'époque. Si j'avais eu envie d'avoir une vie cool sans problème avec la direction de mon bahut ou j'avais voulu éviter de me faire courser par des cranes rasés quand je sortais, bah… J'aurai fait comme les autres, t-shirt Quicksilver, doudoune Chevignon, Levis 501 et petite basket… Mais non, c'était pas dans ma nature. Est-ce que ça m'a posé des problèmes ? Oui mais j'assumais déjà à l'époque.
Et d'ailleurs, ça se ressentait aussi dans mes fréquentations, un de mes meilleurs potes de l'époque était un mec qui avait fait de la prison pour trafic de stupéfiants et qui était connu par tous les gendarmes de la ville où j'habitais donc autant vous dire qu'à me voir trainer avec lui, il se passait rarement une semaine sans que je ne me fasse fouiller. Alors quand j'entends aujourd'hui parler de délit de faciès, je me marre ! On récolte ce que l'on sème...
Plus tard, quand on grandit, on s'assagit, on devient responsable, un bon père de famille, mais est-ce que ça veut dire qu'on perd cette motivation profonde de rebelle ? Jamais, c'est vraiment un des traits de la Volonté Vraie de personnes ayant cet archétype.
Et ça transpire dans la vie de tous les jours, parce qu'on a des amis qui sont rarement des gentils petits toutous du système, qui se ressemble s'assemble dirait l'autre.
Néanmoins, ça reste aussi quelque chose de complexe à gérer, il ne faut pas se le cacher, parce que ça sort tout seul.
Je me souviens d'une fois où la tante de mon épouse m'avait fait une remarque sur le barbecue que je venais de finir de fabriquer qui lui semblait pas de niveau alors qu'il y l'était vraiment. Devant son mari elle m'avait sorti un truc du style « si ça avait été moi, je te l'aurai fait refaire », j'ai pas pu m'empêcher de lui dire que « si ça avait été moi, j'aurai divorcé depuis longtemps ». Ils m'ont tous regardé avec différentes réactions et c'est ça qui me fait marrer : Ma femme m'a fait les gros yeux, sa tante les a levé au ciel en mode « n'importe quoi ! » et son oncle m'a souri.
On en revient au fait que ça provoque chez l'autre une réaction différente en fonction de comment on reçoit le message avec son degré d'implication.
Ensuite, bien sûr que je tombe dans la provocation dans mes livres où je vais prendre parfois des exemples extrêmes qui vont marquer le lecteur ou encore comme sur mon dernier livre où, à l'instar de Wilson, je vais mettre un gros œil dans une pyramide avec comme note « Une hérésie commise par », si je ne tombais pas en permanence sur des personnes à la vision étriquée par leurs croyances ou leurs idéologies, je suis à peu près persuadé que je ne rentrerai pas dans ce type de provocations.
Tout comme sur ce site, quand je réponds à chaud à un article que j'ai lu qui m'a semblé fallacieux ou à une attaque que j'ai pu recevoir, comme il y a quelques temps, je pratique l'ironie, l'auto-dérision et je mordille un peu en retour, c'est de bonne guerre. Et c'est encore ce satané Mars qui m'empêche de fermer ma gueule ou de tendre l'autre joue, mon christianisme a quand même des limites. Mais j'essaye quand même de rester dans un mode troll, ce qui permet d'éviter de rentrer dans le lard tout en poussant quand même à la réflexion.
Voilà, j'espère que je n'ai pas été trop centré sur ma petite personne mais je pensais qu'il était important de développer un peu ce point de comment on peut être attiré vers des personnages sulfureux si l'on pense que malgré leur excentricité, il y avait de bonne choses à en tirer.
Encore une fois, merci à Wil et à Pierre-Yves pour cette discussion enrichissante aussi bien humainement qu'amenant aussi à la réflexion sur soi et sur comment les autres nous perçoivent.
Bonne fin de semaine à tous.
Frater Seth
La chaine de Wil Bee : Wil Bee - YouTube